Élevage : un plan de soutien classique, et après ?

Après la Normandie, les barrages d'éleveurs se sont multipliés sur le territoire. Photo : N. Tiers/Pixel image
Après 3 jours de blocages par les éleveurs qui ont démarré sur les routes de Normandie, le gouvernement a annoncé le 22 juillet un plan de soutien comprenant une dizaine de mesures d'urgence et 14 mesures structurelles.

La première mesure d'urgence est la poursuite de la mobilisation des industriels et de la distribution pour respecter les hausses de prix auxquelles ils se sont engagés. Viennent ensuite les réponses "classiques aux problématiques d'endettement" selon la FNPL: restructuration des dettes avec les banques, fonds d'allégement des charges porté à 50 millions d'euros, garantie de crédits bancaires, report d'échéance des cotisations et impôts, etc.

Stéphane Le Foll avait déjà annoncé le 17 juillet que le gouvernement consacrerait 3,5 milliards d'euros à un apport de trésorerie remboursable versé à partir du 1er octobre afin d'éviter les difficultés de trésorerie, en attendant le versement des aides de la Pac en décembre. Le formulaire de demande, disponible sur Telepac et dans les DDT(M), doit être transmis aux DDT(M) avant le 20 août. Les intérets de cet apport de trésorerie seront financés par l'État ; son coût sera donc nul pour les agriculteurs bénéficiaires.

Concernant les mesures structurelles du plan de soutien, 3 objectifs sont fixés :
  • reconquérir le marché national et international. L'État indique notamment qu'il mobilisera les collectivités pour favoriser l'approvisionnement local. 80% de la viande consommée en restauration collective serait aujourd'hui importée;
  • diversifier les revenus des éleveurs en les faisant participer à la transition énergétique, par la méthanisation et le photovoltaïque notamment;
  • restaurer la compétitivité des filières d'élevage.

Retour sur les raisons de la crise

Plusieurs facteurs sont responsables de la faiblesse des prix payés aux éleveurs: une guerre des prix nationale, doublée d'une mondialisation des marchés à laquelle se soumettent politiques et industriels. Une mondialisation qui entraîne la dérégulation des productions et la volatilité des cours, et qui place les éleveurs français en défaut de compétitivité.

Avant de bloquer villes, routes et ponts, les éleveurs ont visé depuis plusieurs semaines les entreprises de transformation (abattoirs, laiteries) ainsi que les enseignes de distribution. Les avis divergent à propos de qui paie ou ne paie pas le juste prix dans la filière, les différents maillons ayant pour habitude de se renvoyer la balle.
Hyper U Abbeville. Photo N. Ternois/Pixel image Caption

L'Observatoire national des prix et des marges, qui a remis cette année son 4e rapport, est un moyen d'analyser la répercussion dans les filières des hausses et des baisses de prix aux producteurs. Les situations varient selon les rayons et les produits, mais on peut par exemple noter que la baisse des prix payés aux producteurs de viande en 2014 (-6 à -8%), n'a été répercutée ni par les transformateurs ni par les distributeurs.

Dans ce rapport de force entre les maillons de la filière, se pose la question du rôle de l'interprofession. Le 9 juillet dernier, Thierry Roquefeuil, éleveur et président de l'interprofession laitière (Cniel), a démissionné car le collège transformateurs de l'interprofession a opposé une fin de non-recevoir au souhait du collège producteurs d'aborder la question de la crise laitière en conseil d'administration. Or, selon les producteurs, notamment la FNPL, l'interprofession doit être le lieu où trouver les solutions pour répondre aux enjeux de la filière.

Cependant, dans sa présentation du rapport du médiateur des relations commerciales le 21 juillet, Stéphane Le Foll a insisté sur la nécessité de trouver une solution collectivement plutôt que de chercher à désigner un coupable. Ce rapport indique notamment que l'objectif d'augmentation du prix de la viande bovine fixé par les acteurs de la filière le 17 juin n'a été atteint qu'à moitié (+10 centimes/kilo en 4 semaines plutôt que 20). L'objectif à terme étant +60 centimes/kilo.

Selon la Coordination rurale, le gouvernement donne l'illusion de traiter le problème en demandant un meilleur partage des marges. Mais la crise des éleveurs est davantage "l'aboutissement d'un abandon politique". Cet abandon se traduit selon le syndicat par les choix faits en matière de Politique agricole commune (Pac) – par exemple l'abandon d'outils de régulation tels que les quotas laitiers – ainsi que par les négociations de l'UE dans le cadre des traités de libre-échange avec le continent américain notamment.

Suite à un rapport sur la filière d'exportation bovine canadienne, le syndicat Jeunes agriculteurs souligne que "les règles du jeu ne sont pas les mêmes au Canada et dans l'UE", ce qui est source de concurrence déloyale. Cette question d'une compétitivité altérée des éleveurs français liée à une réglementation trop lourde, est mise en avant également par les chambres d'agriculture qui pointent notamment les normes relatives aux bâtiments d'élevage.
Le président de Coop de France, Philippe Mangin, affirme lui aussi que l'enjeu prioritaire est celui de la compétitivité de l'agriculture, mais aussi de l'agroalimentaire français.

La Confédération paysanne de son côté estime que les industriels mettent en place volontairement un plan de restructuration de la filière laitière.

Les revenus des éleveurs

Dans ses estimations du 3 juillet, la Commission des comptes de l'agriculture annonce un résultat par actif (avant impôt) de 15 900 euros pour les éleveurs de bovins viande en 2014, soit 22% de moins que la moyenne observée entre 2000 et 2013.

Pour les éleveurs de bovins laitiers, 2014 représente une embellie qui fût de courte durée : avec une collecte et une valorisation en hausse, leur résultat est estimé à 31 000 euros en 2014, soit 37% de plus que la moyenne 2000-2013. Mais sur le premier semestre 2015, le prix du lait est à nouveau en berne.

Le ministre estime que 10% des exploitations avec une activité d'élevage, soit 22 000 à 25 000 agriculteurs, sont "au bord du dépôt de bilan".

Des solutions de long terme variées, des choix politiques

Les différents protagonistes affirment que des solutions existent. Certaines sont largement partagées entre les différents courants politiques ou syndicaux ; d'autres sont plus spécifiques à certaines organisations.
  • Consommer français et développer l'approvisionnement local en restauration collective : en viande bovine, le volume produit en France est proche du volume consommé. Et la consommation française est stable ou légèrement en baisse. Il manque donc peu de chose pour que la production française soit en adéquation, et correctement valorisée grâce au marché français. Les étiquetages Viandes de France et lait français récemment mis en place doivent y contribuer.
 
  • Améliorer la transparence, ce qui revient à améliorer le fonctionnement de l'observatoire des prix et des marges.
   
  • Réguler le marché : les quotas laitiers qui ont disparu le 1er avril dernier, ont été un moyen plutôt efficace de réguler la production européenne et de stabiliser les prix, ces 30 dernières années. Depuis leur disparition, la plupart des acteurs réclament un renforcement des outils de marché pour prévenir et guérir les crises.
 
  • Organisation des producteurs et contractualisation : la contractualisation récemment mise en place entre producteurs et industriels laitiers ne donne pas entière satisfaction et doit être améliorée. Elle est indissociable de l'organisation des producteurs, qui doit elle aussi être améliorée dans un contexte où les acteurs de l'aval sont de plus en plus concentrés et puissants. D'après le think tank SAF agr'idées, l'organisation des producteurs sans transfert de propriété est inefficace sur le plan économique, et lorsque les producteurs ne s'impliquent pas, d'autres se chargent de regrouper l'offre et de la mettre sur le marché sans souci de la valorisation.
  • Consolidation des marchés à l'export : l'export est perçu comme une opportunité, mais aussi parfois comme un risque, celui d'être soumis à la volatilité des cours et aux aléas des marchés mondiaux (embargo russe, ralentissement de la demande chinoise, etc.). Ainsi, l'interprofession des viandes Interbev se félicite du soutien accordé par le gouvernement au développement de l'offre viande bovine à l'export. En revanche, la Confédération paysanne estime qu'il est "illusoire de réactiver le mirage de l'export dont les aléas sont en grande partie responsables de la crise actuelle", et penche plutôt pour une stratégie export centrée sur les produits à haute valeur ajoutée.
 
  • Augmenter la compétitivité de l'élevage français, notamment à l'export : les normes françaises et européennes sur la qualité des produits, le respect de l'environnement et du bien-être animal sont souvent perçues comme des charges et donc des freins à la compétitivité. La plupart des protagonistes réclament inlassablement un allégement de ces normes et charges.
 
  • Changer de modèle : c'est notamment la position du groupe écologiste de l'assemblée nationale qui estime qu'il est temps de tirer la leçon des crises à répétition et de "poser les bases d'une nouvelle politique agricole". Il souligne aussi que 30% du lait biologique est aujourd'hui importé, sachant que le lait bio représente désormais 10% du lait consommé en France. La FNAB de son côté considère que les aides doivent soutenir la réorientation des exploitations et des filières vers la souveraineté alimentaire nationale, et appelle à l'innovation vers une nouvelle économie agroalimentaire permettant un partage équitable de la valeur ajoutée.

Voir aussi :
La filière bovin viande réagit au revenu en berne
882 000 emplois dépendent de l'élevage français

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