Eau-arbre-sol : le triptyque pour ramener de la fertilité à la parcelle

Au Domaine de Tasquier, en Provence, 3 ha de vermentino et de syrah ont été plantés selon les principes de l’agriculture régénérative. Objectif : ramener de la vie dans un sol « en voie de désertification ».

« L’îlot de parcelles que nous avons replanté est situé sur des sols maigres, très sableux, issus de roche altérée, sur un socle de grès imperméable. Si l’on ajoute à cela un régime de pluies méditerranéen et la pente qui provoquent érosion et ruissellement, ces parcelles se trouvent en conditions extrêmes, sur des sols en voie de désertification. Notre objectif est de retrouver absolument de la fertilité », indique Lionel Asin, vigneron, président de la coopérative du Luc (Var) et qui exploite les vignes du Domaine Tasquier, conduites en bio.

Alors que le domaine se situe dans la plaine des Maures, l’un des endroits les plus chauds du Var, et que le site n’est pas irrigable, son idée a été de mettre en pratique les principes de l’agriculture régénérative : aménagements hydrauliques, agroforesterie et couverts végétaux interrangs. « C’est l’ensemble de ces techniques, mises bout à bout, qui vont fonctionner de concert et remettre en marche le cycle de l’eau », résume Lionel Asin, qui a été épaulé par plusieurs spécialistes, notamment Alain Canet, d’Arbre et paysage 32, pour l’agroforesterie, Stephan Reinig, responsable vignoble chez Estandon, et Simon Ricard, de Permalab, pour l’hydrologie régénérative.

Tamponner au lieu d’accélérer

Sur ce point, une véritable inversion de modèle a prévalu : « Contrairement à ce qui pouvait exister avant, notre but est désormais de tamponner au lieu d’accélérer l’eau et de la conserver dans la parcelle au lieu de la faire sortir au plus vite. Pour cela, nous avons creusé des minimares d'une dizaine de mètres carrés tout autour de la parcelle, partout où nous avions de la place. C’est très simple », estime Lionel Asin, qui a également conservé une mare existant déjà.

Le réseau de mares temporaires joue un rôle d’amortisseur : l’eau s’évapore ou s’infiltre plus lentement.

Ce réseau des mares temporaires joue un rôle d’amortisseur. Lorsqu’il pleut, tous ces creux se remplissent, puis débordent si la pluie est suffisante et se déversent petit à petit dans les niveaux suivants. L’eau est donc freinée. Elle s’évapore ou s’infiltre plus lentement. « L’eau peut rester par exemple 15 jours de plus sur place, explique le vigneron. Avec ce système, je rends service à la parcelle, car je capte un peu d’eau. Et s’il arrive une pluie de 300 mm en quelques heures comme c’est le cas parfois dans nos régions, la crue et les inondations vont être atténuées en aval. Donc je rends service à la société. »

L’association Les résilients a organisé plusieurs formations (ici avec Alain Canet) et travaille sur une douzaine de projets.

De fait, les récentes pluies ont permis de constater l’efficacité du système. « Nous avons aussi constaté que les minimares se remplissaient de sable, car nous avions défoncé le sol avant de planter, constate Lionel Asin. L’an prochain, pour les prochaines plantations, je vais changer de méthode et utiliser seulement une sous-soleuse sur le rang, avant plantation, pour éviter ça, et essayer de planter "sous couvert". »

Obtenir un maximum de biomasse

La plantation de vermentino et syrah a été effectuée en deux fois : 1,5 ha en 2022 et 1,5 ha cette année. Sur la partie plantée l’an dernier, des couverts ont été semés pendant les vendanges. Une technique que maîtrise Lionel Asin, puisqu’il l’utilise depuis plusieurs années sur ses propres 35 ha de vigne. Il a donc déjà accès au matériel nécessaire. Il achète les semences fermières séparément et effectue le mélange, pour réduire le coût, estimé à 150 €/ha pour un semis dans tous les interrangs. Le mélange choisi est destiné à produire « le plus haut et le plus dense possible » : 40 % de fabacées (vesce et pois fourrager), 40 % de graminées (seigle forestier, avoine rude) et 20 % de crucifères.

Le matériel pour implanter et détruire les couverts était déjà disponible pour Lionel Asin puisqu'il utilise cette technique depuis plusieurs années sur ses propres 35 ha de vigne.

« Notre objectif est d’obtenir un maximum de biomasse », résume-t-il. Malheureusement, les conditions très sèches de l’automne et de l’hiver n’ont pas été favorables, et les couverts ne sont pas beaucoup développés. Malgré tout, ils ont été roulés à la mi-mai, afin d’éviter la concurrence hydrique et produire un mulch protecteur du sol en prévision de l’été.

Un « quadrillage » d'arbres

L’agroforesterie est le troisième volet des aménagements de l’îlot parcellaire. Environ un millier de jeunes plants d’arbres ont été implantés. C’est d’ailleurs le principal poste de dépense : 5 à 7 €/plant avec piquet et tuteur, plus la mise en œuvre. Des financements sont possibles avec des crédits carbone. Le design, proposé par Alain Canet, comporte une haie double et une haie simple d’arbres et arbustes qui séparent en trois l'une des deux parcelles. Puis, dans chaque rang, des arbres sont aussi plantés à la place de certains ceps de vigne, de manière à produire une sorte de quadrillage « pour recroiser le champ mycorhizien ». Ces arbres seront écimés, trognés et conduits comme la vigne.

Ce plan a été établi pour répondre aux problématiques d’érosion, de fertilité à restaurer et de conservation de la biodiversité. Les parcelles se trouvent en effet dans le biotope de la tortue d’Hermann, espèce endémique protégée. Deux corridors de 5 à 10 m de large, plantés d’arbres et non travaillés, lui sont d’ailleurs réservés, entre les parcelles.

Pour le choix des espèces, « nous avons privilégié des arbres de "lisière", le biotope naturel de la vigne », souligne Lionel Asin. Frênes, mûriers, amandiers, poiriers, figuiers et micocouliers composent la strate la plus haute à 3 m de hauteur. Ils sont accompagnés d’arbustes épineux pour favoriser la nidification des oiseaux, tels que l’aubépine, l’églantier, le prunellier, ainsi que quelques espèces à feuillage persistant (laurier-sauce, laurier thym, filaire). Enfin, quelques lianes (chèvrefeuille, vigne non taillée) seront chargées de faire le lien entre la parcelle cultivée et ses abords, par la rhizosphère.

Après la plantation de la vigne et des arbres au printemps 2022, tous les jeunes plants ont reçu deux arrosages en mai et en juin. Malgré l’été très sec, la mortalité des jeunes arbres n’a pas dépassé 5 %, seuil considéré comme acceptable par le vigneron. Rendez-vous est pris en troisième feuille pour vérifier comment se comporte le dispositif vis-à-vis des objectifs de rendement de 45 à 50 hl/ha.

 

Effet boule de neige : une association pour un territoire résilient 
Convaincu que ces aménagements parcellaires sont d’autant plus efficaces qu’ils sont largement présents sur le bassin-versant, Lionel Asin a cofondé une association, Les résilients, pour diffuser le savoir et créer un effet boule de neige. L’association a organisé plusieurs formations pour les agriculteurs et travaille sur une douzaine de projets. Parmi ceux-ci, la création d’une filière locale pour la production de plants agroforestiers. Outre des vignerons, un maraîcher, des pépiniéristes, les enfants de deux classes de CM1 ont été sensibilisés pour planter des arbres et même… un supermarché qui va planter une double haie d’arbres en 2024 à côté de son parking.

Viticulture

Boutique
Div qui contient le message d'alerte
Se connecter

Identifiez-vous

Champ obligatoire Mot de passe obligatoire
Mot de passe oublié

Vous êtes abonné, mais vous n'avez pas vos identifiants pour le site ?

Contactez le service client abonnements@info6tm.com - 01.40.05.23.15