Les filières agricoles demandent davantage de cohérence dans la politique commerciale européenne

«Tout ce qui est interdit chez nous est pratiqué ailleurs, affirmait Patrick Bénezit, président de la FNB, le 31 octobre. Nous n'avons même pas besoin de mettre de nouvelles clauses miroirs, simplement de faire respecter celles qui existent.» © Interbev
«Tout ce qui est interdit chez nous est pratiqué ailleurs, affirmait Patrick Bénezit, président de la FNB, le 31 octobre. Nous n'avons même pas besoin de mettre de nouvelles clauses miroirs, simplement de faire respecter celles qui existent.» © Interbev

À l'occasion d'une conférence organisée par Interbev, les acteurs agricoles ont mis en lumière les contradictions européennes, les autorités voulant à la fois préserver l'environnement avec le Green Deal et nouer des accords commerciaux qui vont à l'encontre de ces efforts et induisent, en outre, une concurrence déloyale pour les producteurs français et européens. Au-delà d'un moratoire sur les accords commerciaux, ces derniers appellent, dans une feuille de route, à une application réelle des clauses miroirs.
 
Du soja à la viande bovine, des fruits aux ovins, du sucre aux lentilles, toutes les filières agricoles (Anvol, AIBS, Intercéréales, Interfel, Terres Univia...) étaient représentées à la conférence organisée le 31 octobre par Interbev, avec la fondation pour la Nature et l'Homme et l'institut Veblen.

Leurs représentants avaient tous la même question : comment faire en sorte de protéger les producteurs, ne serait-ce que pour qu'ils puissent investir dans la nécessaire transition écologique, tout en s'ouvrant sur le monde et en commerçant avec d'autres puissances agricoles ? La réponse passe, de leur point de vue, par une nouvelle feuille de route concernant les accords commerciaux.
 
Ceux que l'Europe veut signer avec le Mercosur (Brésil, Argentine, Paraguay, Uruguay), notamment, ou avec l'Australie, ne leur conviennent pas.

Ils préconisent d'ailleurs non seulement de ne pas les ratifier (dans le cas du Mercosur) ou de suspendre les négociations (dans le cas de l'Australie), mais en plus, ils appellent la France, alors que la campagne pour les élections européennes 2024 débute, à exiger un moratoire dans ce domaine. La raison ? Ces traités n'incluent pas, ou pas assez, la réciprocité des normes de production.

Mesures miroirs

Ils demandent donc la mise en place de mesures miroirs permettant d'interdire l'importation de denrées agricoles produites avec des substances (pesticides, antibiotiques, activateurs de croissance…) et des pratiques interdites dans l'Union européenne. Et si des avancées ont été obtenues lors de la présidence française de l'UE, comme l'adoption d'un règlement relatif à la déforestation importée, que se passe-t-il réellement sur le terrain ?

Il faut d'abord, argumentent-ils, veiller à la bonne application des obligations prévues dans le texte, concernant, notamment, la viande bovine et le soja. Même chose pour une mise en œuvre des contrôles au sein des filières agricoles dans les pays exportateurs. Elle doit être plus large, plus objective et plus efficace.
 
Autant de mesures de nature à rétablir une certaine cohérence politique, qui manque cruellement pour le moment. En effet, comment l'Europe peut-elle prétendre qu'elle tient, logiquement, à protéger l'environnement avec son Green Deal, tout en dynamisant son économie avec le commerce international, si les traités de libre-échange qu'elle signe induisent l'importation de produits ne respectant pas les normes environnementales, pas plus, d'ailleurs, que les normes sanitaires ou sociales ? Sans oublier les effets sur les producteurs français et européens, sous forme de perte de parts de marché intérieur, de destruction de revenus, d'exploitations agricoles et d'emplois. 

Des poulets de plus en plus importés

Les exemples sont nombreux. Ainsi, si les consommateurs déclarent, selon les études, vouloir avant tout des produits français, la réalité est toute autre. Sous l'effet de l'inflation, qui pousse les ménages vers des produits à moindre coût, les importations de volailles ne cessent de progresser : +10,3% en 2022 par rapport à 2021 et +5,7% sur le premier semestre 2023 par rapport au premier semestre 2022, selon l'Anvol.

En 2022, 43% des volailles consommées en France ont été́ importées et 45,2% sur les six premiers mois 2023. Or, s'ils sont effectivement moins chers, les poulets, et en particulier les blancs, qui constituent le quart du total des importations venant, pour la moitié, du Brésil, sont aussi de moins bonne qualité. «Nous avons l'obligation de diminuer l'usage d'antibiotiques de 60%, alors que ce n'est pas le cas ailleurs, et nous n'avons aucune garantie que les poulets n'ont pas été lavés à l'eau de javel dans d'autres pays !» tempête Jean-Michel Schaeffer, le président d'Anvol. En outre, la traçabilité laisse à désirer.

«Tout arrive à Rotterdam et il suffit d'une transformation mineure pour perdre la provenance, d'Ukraine par la Pologne, par exemple. Les règlements européens dans ce domaine ne sont pas assez stricts», ajoute-t-il.

Du maïs traité avec des produits interdits

Même argument de la part de Franck Laborde, président de l'Association générale des producteurs de maïs (AGPM) pour cette production. «Alors que la France était autosuffisante, le pays est devenu le plus gros importateur de maïs de l'Union, et un quart des besoins européens sont importés du Brésil, d'Ukraine, des États-Unis et d'Argentine», informe-t-il.

Mais surtout, «78 % des produits de traitement utilisés au Brésil sont interdits en France. Et le Brésil ne cesse d'accroître ses surfaces de culture, qui plus est, au détriment de la forêt». Cette concurrence est d'autant plus déloyale, selon lui, que les exploitations, de l'autre côté de l'Atlantique, sont immenses.

Ovins, oh désespoir !

Michèle Boudoin, présidente de la FNO et éleveuse dans le Puy-de-Dôme, s'inquiète quant à elle de l'évolution qu'a connu son secteur, marginal en France, certes, face à la concurrence australienne, néozélandaise et chilienne.

«En 1980, l'Europe était largement autosuffisante, mais en 2019, ses besoins n'étaient couverts qu'à 90 % et aujourd'hui, à 80 %, assure-t-elle. Car les importations ont fait fondre le cheptel. Et pour cause, un gigot d'agneau français est vendu dans les 30 euros le kilos, quand le même gigot, venu de Nouvelle-Zélande, ne vaut que 9 euros le kilo...»

Et, là encore, les règles sur le transport des animaux vivants notamment, ne sont pas les mêmes. «Ils sont limités à 12 h en Europe, pour le bien-être des animaux, mais peuvent atteindre huit jours en Australie... », fait remarquer Michèle Boudoin.

« Interdit chez nous, pratiqué ailleurs »

De fait, l'élevage dans son ensemble est, comme les autres productions agricoles, une vraie pomme de discorde. Patrick Bénézit, président de la Fédération nationale bovine (FNB) et éleveur dans le Cantal, note la différence de modèle entre l'Europe et l'Amérique du Nord et du Sud ainsi que l'Australie.

Là bas, les fermes, qui comptent allègrement 30000 têtes de bétail, n'hésitent pas, selon lui, à utiliser des activateurs de croissance et à nourrir les animaux avec des farines de viande.

«Tout ce qui est interdit chez nous est pratiqué ailleurs, s'emporte-t-il. Nous n'avons même pas besoin de mettre de nouvelles clauses miroirs, simplement de faire respecter celles qui existent.»

D'autres exemples, sur le soja OGM, en provenance du Brésil notamment, font aussi hurler les producteurs français. S'ils se réjouissent du fait que la question des clauses miroirs, singulièrement absente des discussions commerciales ces dernières années, fait désormais son chemin auprès des autorités européennes et des élus, ce vaste chantier demande encore à être mené à bien.

«À ses débuts, la politique européenne s'est constituée sur le "business" et non sur l'environnemental», remarque Marc Fesneau, ministre de l'Agriculture, également présent à la conférence d'Interbev. Il s'agit donc aujourd'hui de faire évoluer cette culture. Et pour être efficace, «se donner des priorités sur certaines clauses miroirs à inclure et à appliquer sur le terrain».

Pas sûr que les filières soient satisfaites de cette stratégie limitée, même si le ministre a rappelé l'opposition de la France sur les traités en cours de finalisation avec le Mercosur et l'Australie...
 
Lys ZOHIN

Vie Exploitation Agricole

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